Je m’appelle Mohammad et je viens d’Afghanistan. Aujourd’hui, j’habite à Kaboul.

Je vais vous raconter mon histoire depuis le début.

Quand j’étais un enfant j’étais battu, au moins deux fois par semaine, simplement parce que j’étais un enfant et que je ne comprenais pas comment travailler. Mon père était un conflit avec des gens avec qui nous partagions l’eau et la terre, et ces gens me frappaient souvent. Je n’osais pas le dire à mon père, car ils auraient pu le tuer s’il protestait.

Lorsque j’ai grandi, le conflit a continué. Parfois je voulais fuir l’Afghanistan, mais ce n’était pas possible à cause de la guerre. Tout était incertain et je n’étais qu’un enfant.

Foto: Mohammad

Finalement, j’ai décidé de quitter mon pays. En raison de l’insécurité, de la maltraitance, la violence et la guerre, le risque d’enlèvements et les meurtres. Toutes sortes d’inhumanités.

J’étais un adolescent et ce n’’était pas facile pour moi de me rendre en Iran, ni jusqu’en Suède.

En Iran, j’ai travaillé pendant plusieurs années en me cachant de la police, pour qu’ils ne me trouvent pas et ne me renvoient pas en Afghanistan.

Je travaillais au noir et je n’osais pas du tout quitter l’usine volaille où je travaillais, je n’osais pas aller en ville. Les lieux de travail en Iran sont comme des prisons.

J’attendais d’économiser suffisamment d’argent pour pouvoir quitter l’Iran un jour et continuer ma route vers un pays Européen.

Pourquoi l’Europe ? La réponse est évidente. J’avais entendu parler des Droits de l’Homme et j’avais surtout entendu parler de la Suède, qui fait très attention aux Droits des Enfants.

Après avoir réussi à mettre du côté la somme nécessaire pour pouvoir partir, j’ai commencé mon voyage.

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Migrants informal camp in Porte de la Chapelle in Paris. Photo: Abdul Saboor

En 15 ans il y a tellement de choses qui se passent, des choses que je pourrais raconter. Mais ici, je vais surtout parler de mon temps en tant que demandeur d’asile en Suède et en France.

La route jusqu’en Suède est juste trop dangereuse. Nous avons passé, en clandestins, 10 frontières. Et j’ai décidé, que soit je meurs sur la route, soit je réussis à me rendre dans un pays sûr.

J’ai réussi à parcourir tout ce chemin. La Suède était le pays où j’avais décidé d’aller, parce que je pensais qu’ils allaient m’accepter en tant que demandeur d’asile. Je ne savais pas du tout qu’un jour ils allaient m’expulser vers le même site de guerre que j’avais fui.

Je suis arrivé à Malmö et là, on m’a souhaité la bienvenue en Suède. Je ressentais une telle joie – j’étais la personne la plus heureuse du monde, quand j’ai compris que c’était en Suède que j’étais arrivé.

Il y a des gens qui ne savent peut-être pas à quel point c’est difficile d’être un demandeur d’asile. Quand on doit chercher son avenir.

La plupart des réfugiés déboutés n’ont pas assez d’informations sur la manière d’obtenir un permis de séjour. L’Office des migrations ne croit qu’en ce qu’on dit, pour eux ce sont les mots seuls qui comptent. Ils ne pensent peut-être pas que certains d’entre nous ne peuvent pas, ou n’osent pas, dire nos problèmes.

Je fais partie des demandeurs d’asile qui ne savaient pas comment m’exprimer à l’Office des migrations, pour obtenir un permis de séjour. Je leur ai expliqué mes problèmes et mes difficultés, mais ils ne les ont pas acceptés et ils m’ont refusé l’asile.

Quand j’ai reçu mon premier refus, je vivais avec une famille suédoise. Je me suis assis dans une pièce et j’ai pleuré pendant plusieurs jours. Même maintenant, quand j’y pense à cet instant, j’ai des larmes qui me montent aux yeux.

Ce n’était pas simplement un rejet que j’ai reçu. C’était une décision sur mon avenir. Une décision qui disait non à mon droit de vivre.

Mon avocat en Suède a transmis mon cas à l’Office des migrations, sans me lire les documents, qui me concernaient, pour que je puisse savoir si tout était correct. Ceci est arrivé parce que j’ai dû déménager pendant cette période et la lettre de l’avocat est arrivée à mon ancienne adresse. Je ne savais pas que mon dossier était soumis de nouveau.

Après trois refus, j’ai eu très peur. L’Office des migrations m’a donné 14 jours pour quitter la Suède, sinon ils allaient m’expulser et leur décision était définitive.

Je n’avais aucune possibilité de rester en Suède avec ces menaces qui pesaient sur moi. J’étais confus et je ne savais pas quoi faire.

J’ai entendu parler de la France, qu’on pouvait y demander l’asile, même si on était classé « Dublin ». J’ai décidé de partir pour la France avant ma date d’expulsion de Suède.

J’ai quitté la Suède en août 2018 pour aller en France. J’étais très mal à l’aise et angoissé parce que je ne connaissais personne là-bas, je n’avais aucune idée sur comment les choses se passent en France.

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Migrants informal camp in Porte de la Chapelle in Paris. Photo: Abdul Saboor.

Je suis arrivé un soir à Porte de la Chapelle, dans le nord de Paris. Beaucoup de toxicomanes dormaient là-bas et je n’avais nulle part pour dormir. J’ai dû dormir parmi eux. Le lendemain matin, j’ai rencontré quelques Afghans qui vivaient sous un pont et je leur ai demandé comment les choses se passaient en France. Ils y étaient depuis plus d’un mois et certains d’entre eux avaient vécu dans la rue depuis leur arrivée.

J’étais content d’avoir rencontré d’autres Afghans avec qui je pouvais dormir. Pendant un mois environ, j’ai vécu à l’extérieur, dans divers endroits à Paris. J’étais constamment en train de chercher des endroits où des repas étaient distribués et des ponts sous lesquels dormir. Puis des endroits où je pouvais obtenir de l’aide.

J’ai pris un rendez-vous à la Préfecture près de la ligne 4 du Métro. Le même jour, dès que j’ai laissé mes empreintes digitales, j’étais classé Dublin – ma peur était décuplée !

J’ai pleuré toute la journée. Mais cela n’a rien changé, j’aurais pu pleurer ou rire, ça n’avait aucune importance.

L’Office des migrations m’a autorisé à rester sur le sol français pendant deux mois. Après ce temps, je suis retourné à la Préfecture pour demander quoi faire. Ils m’ont répondu que je devais retourner en Suède ou faire appel de mon statut de « Dublin ». J’ai fait appel – puisque je savais très bien que la Suède allait m’expulser vers l’Afghanistan.

Mais le tribunal français a rejeté l’appel en m’obligeant à retourner en Suède. A cette période, je me débrouillais déjà bien en France. J’avais trouvé un logement où j’avais une place pour dormir et où je pouvais manger. Je suis souvent allé à l’Eglise suédoise pour demander de l’aide avec des documents, des traductions de documents qui prouvaient que j’allais être débouté en Suède. Sara, une femme très gentille, m’a aidé avec tout cela.

Je voulais faire un recours à nouveau au tribunal, mais mon nouvel avocat a refusé. Il m’a dit :

 – Ne quitte jamais Paris et présente-toi au commissariat lors de chaque convocation. C’est la démarche la plus rapide pour pouvoir abandonner ton statut de ”Dublin”.

Parce qu’après 6 mois les empreintes digitales disparaissent du système. Il m’a conseillé cette solution parce que l’autre option, c’est que je devais me cacher pendant 18 mois et perdre ma place au dortoir ainsi que mes revenus sociaux. Et j’allais risquer d’être attrapé par la police.

Photo: Mohammad

J’ai été convoqué une première fois à la grande préfecture de l’île de la Cité et j’y suis allé. Des amis m’ont déconseillé de m’y rendre, mais l’avocat m’a dit qu’il valait mieux y aller. Puis j’y suis allé à une deuxième convocation. Ce jour-là, la police m’a attrapé.

Ils m’ont agrippé comme un criminel et m’ont mis des menottes en disant que j’allais être renvoyé en Suède. Je vivais une inquiétude extrême parce que je savais que la Suède allait m’expulser vers l’Afghanistan – ça, c’était à 100 pour cent sûr.

Les policiers m’ont conduit vers un centre de rétention à Paris où je suis resté 22 jours. Tout ce temps j’étais traité comme un criminel.

Un matin, ils ont appelé mon nom de famille et j’ai répondu présent. Quatre policiers sont entrés dans la pièce et m’ont dit :

– Maintenant tu vas à l’aéroport et tu vas partir en Suède !

J’étais tellement effrayé. J’avais l’impression que quelqu’un allait me couper la gorge. Il n’y avait aucune possibilité de résister. Les policiers m’ont amené à l’aéroport et m’ont attaché les pieds pour que je ne m’échappe pas. Ils m’ont allongé dans un petit avion avec 4 autres Afghans et nous sommes retournés en Suède.

C’était le pire jour de ma vie. J’ai même pensé que, peut-être j’avais tué quelqu’un par mégarde ? Est-ce que j’avais causé un accident, sans que je m’en souvienne ? Est-ce que je dormais ? Ou est-ce que je rêvais ? Parce que sinon, pourquoi me traiteraient-ils si mal ?

Quand je suis arrivé en Suède, on m’a immédiatement enfermé au Centre de rétention de Märsta. Là aussi, ils m’ont traité comme un criminel. J’ai vécu enfermé pendant environ 4 mois avant qu’ils me déportent vers l’Afghanistan.

Aujourd’hui, je suis à Kaboul. Cela fait presque un an. Je n’ose pas sortir de la ville et ici, à Kaboul, il y a de nombreuses menaces. De l’insécurité. Si vous souhaitez suivre ma vie d’ici, j’écris chaque semaine les « Chroniques de Kaboul » qui sont publiées par la revue Blank Spot sur le net (en suédois, mais certaines parties seront traduites en français ici, sur le site de LAMSF).

C’est dur de réaliser à quel point ma situation est mauvaise. Souvent je me demande :
Dois-je vivre avec cette peur toute ma vie ? N’y a-t-il pas d’endroit où je puisse vivre en paix ?